Le plus dur, pour les normo-entendants, c’est de comprendre ce que mal entendre signifie.
Prêtons-nous à une petite expérience. Prenez un livre et ouvrez-le au hasard. Tenez-le de façon à pouvoir lire, à bien voir les lignes et les lettres, à facilement les identifier. Maintenant, rapprochez-le un peu de votre visage. Les lettres sont un peu plus grosses mais peut-être un peu moins nettes. Rapprochez-le encore. Vous ne pouvez désormais plus voir que certaines des lettres en gros plan, le reste du texte se fondant en lignes noires sur une trame blanche. Si vous rapprochez encore le livre de votre visage, tout ce que vous distinguez, ce sont les zébrures noires et blanches et la texture des pages.
Vous ne parvenez plus à lire, n’est-ce pas ? Les mots ne sont plus là, les phrases se rejoignent et l’histoire a disparu en un désordre de lignes noires sur un bout de papier blanc.
C’est ainsi que les malentendants vivent le monde des sons — incomplet, incohérent. La perte auditive survient lentement, telle une ombre rampante qui grignote les sons et les mots, petit bout par petit bout. Un voleur de la nuit, silencieux, qui nous dépouille, fréquence après fréquence, jusqu’à ce qu’un matin, nous nous réveillions et réalisions que nous n’avons presque plus rien. Mais, comme le voleur prend son temps, se déplace lentement, vole petit à petit, nous ne nous rendons compte de ce qu’il se passe que lorsqu’il est trop tard. Ou nous en avons peut-être conscience mais refusons de l’accepter. Les signes d’une perte auditive ne sont pas toujours évidents.
C’est là que le questionnaire d’évaluation entre en jeu.
La famille, les amis, l’entourage de ceux qui présentent une perte auditive peuvent être la raison qui les pousse à solliciter de l’aide. Ils peuvent également être la raison qui les empêche de demander cette aide. Mais, lorsqu'une personne est prête à s’engager sur le chemin de l’audition, en plus d’aider l’audioprothésiste à avoir une vue d’ensemble, le questionnaire d’évaluation peut aussi aider la personne qui entend mal à accepter sa perte d’audition et à trouver le courage d’affronter la situation.
Amis, collègues et famille peuvent répondre au questionnaire d’évaluation, le mieux étant qu'il soit rempli par quelqu’un en contact régulier avec la personne touchée par la perte d’audition. Il saura ainsi quels environnements d’écoute posent problème, quels sons ou quelles situations sont les plus compliqués, comment cette personne agit au travail, lors de réunions en société et au téléphone, et il pourra identifier les techniques développées par cette personne pour compenser sa perte d’audition.
Entre autres questions, il peut ainsi être demandé : Est-ce que le patient évite les réunions en société ou les sorties ? Est-ce que le patient rencontre des difficultés au téléphone ? Est-ce que la voix du patient change d’intensité lorsqu’il parle ? Est-ce que le patient rencontre des difficultés lorsqu'il y a un bruit de fond ou au milieu d’une foule ?
Il est également demandé à la personne qui y répond de donner sa version de l’histoire — en quoi est-ce que la perte auditive de l’autre l’affecte.
Les réponses ne seront peut-être pas toujours celles que vous voulez entendre. Il peut être difficile de les lire, de les accepter. Elles peuvent faire naître des sentiments de colère, de tristesse ou de frustration. Mais ce questionnaire aide à éloigner le livre du regard et à rendre à nouveau clairs les mots et les lettres, pour que le lecteur puisse reprendre le fil de l’histoire et ne plus être prisonnier d’une page déformée.
Prenons mon cas pour exemple, lorsque je refusais d’accepter que ma perte auditive rendait ma conduite dangereuse. Le questionnaire d’évaluation a montré deux perceptions très différentes :
Ma version : J’entends bien lorsque je conduis. Je n’écoute pas trop fort la radio et j’entends quasiment tout ce que mon ami me dit. Cela n’est difficile que lorsque la route est cahoteuse ou lorsqu’il pleut. Je ne lis pas beaucoup sur les lèvres lorsque je conduis.
La version de mon petit ami : J’ai parfois peur lorsqu’elle est au volant. Elle doit toujours me regarder pour comprendre ce que je dis et elle me fixe quand je parle... tout le temps. Et elle se tourne sans arrêt vers moi pour voir si je ne suis pas sur le point de dire autre chose. Elle ne peut pas regarder la route et écouter ce que je dis en même temps. C’est dangereux.
Lorsque j’ai lu sa réponse pour la première fois, je me suis moquée. Lorsque je l’ai lue une seconde fois, je me suis souvenue avoir presque renversé quelqu’un en reculant, après un match de baseball, avec ma toute nouvelle voiture. J’ai lu et relu sa réponse et, à chaque fois, j’ai revu ces moments où j’ai fait une embardée, où j’ai pilé trop près d'un pare-choc, où j’ai évité quelqu’un de justesse parce que j’essayais simplement, stupidement, d’entendre un mot. Et je me suis souvenue d’accrochages survenus parce que je n’avais pas entendu l’autre voiture arriver.
J’ai lu le reste de ses réponses et, même si certaines ne m’ont pas plu, elles disaient la vérité. On ne peut pas se soustraire à la vérité.
Le questionnaire est là pour aider à identifier la meilleure solution auditive possible. Le questionnaire montre que la perte auditive affecte la personne qui en est atteinte mais aussi l’ensemble de son entourage. Il brosse un tableau des répercussions que cela a sur leur vie. Cette vue d’ensemble va aider l’audioprothésiste à mieux discerner ce qui peut correspondre au patient, à savoir quels accessoires ou fonctions proposer. Vos réponses peuvent également aider l’autre à mieux comprendre ou accepter sa perte auditive.